Banalité

Le droit de ban

Carte Ferraris de Surré
À l’époque de la grande construction des moulins, les terres appartiennent aux seigneurs laïcs, aux évêques et aux abbayes. Il leur est facile de faire creuser les canaux dans des bois, des prairies sans craindre des contestations des paysans.
Au début, seule la puissance physique est recherchée, peu à peu c’est la puissance économique qui fait du moulin un instrument de profit. La banalité a facilité le développement des moulins à farine, pièce essentielle de la construction seigneuriale, élément de base du «ban». Le but «social» initial d'un usage collectif est bien vite détourné pour aboutir à de lourdes contraintes, la banalité. La banalité est le monopole qu’avait un noble d’obliger la population habitant sur son fief d’aller faire moudre son grain dans le moulin banal, d’aller cuire son pain au four banal, etc.
Le droit de ban est à la fois pouvoir de commandement, de justice et de fiscalité ; le seigneur est maître des terres, des hommes, des animaux, mais aussi de l'eau des rivières. Il est le seul à avoir le droit d'établir un moulin sur son domaine. A travers la seigneurie banale, le seigneur, à la fois propriétaire foncier et détenteur d'un pouvoir de contrainte, s'approprie une part du travail des hommes installés sur ses terres. Les seigneurs n'étant habilités à revendiquer aucun droit sur l'air car le vent n'appartient à personne, les moulins à vent, dont les ailes commencèrent à se dresser vers la fin du XIIe siècle, ont parfois été édifiés principalement en protestation contre la banalité.
L’Edit de Moulins de février 1566 établit le principe d’inaliénabilité du domaine de la Couronne. La distinction fondamentale entre les rivières navigables et flottables et celles qui ne l’étaient pas a été officialisée par l’ordonnance royale des Eaux et Forêts de août 1669, dite ordonnance de Colbert. Sur les rivières navigables, l’autorité suprême devenait seule investie d’autoriser la création de nouveaux «barrages» usiniers et le maintien des aménagements existants, ainsi que du pouvoir de police y afférent. La très grande majorité des usines du Royaume, situées sur des rivières non navigables ni flottables, restèrent sous la tutelle de la seigneurie banale. Sous l'Ancien régime, le problème de l'entretien ne se pose guère. Les conflits les plus connus traitaient plus particulièrement du droit de propriété. En tant qu'investissement essentiel au domaine, le propriétaire se doit de l'entretenir. Les « banniers », ou utilisateurs obligés du moulin, sont tenus d’effectuer des travaux basés sur le principe de la corvée ou réquisition des hommes. Les rivières sont entretenues par les corvéables. La durée des corvées est fixée par la coutume ou par la charte du village. Les corvées sont rachetables et grâce au revenu qu’il retire de cette vente, le seigneur peut faire effectuer les travaux indispensables.
Dès la nuit du 4 août 1789, les corvées sont abolies. Quand les moulins sont devenus plus nombreux, la population n’a plus supporté d’être obligée d’aller faire moudre son blé au moulin banal, qui n’était pas forcément le plus accessible et le plus «économique». La banalité ne se justifiant plus, elle a été considérée comme un privilège. Ce privilège étant propriété exclusive des nobles et des ecclésiastiques, la Convention n’a pas hésité à satisfaire les demandes formulées dans les cahiers de doléances. La banalité a été aussi une des causes de la Révolution française. La Révolution a fait disparaître la banalité et les conflits qu’elle générait. Par contre, elle n’a pas supprimé les droits d’usage de l’eau.
Un nombre important de moulins servant, en cette fin du XVIIIe siècle, à des fins industrielles, il aurait été mal venu de remettre en cause la possibilité d’utiliser l’eau, d’autant que de nombreux moulins, devenus propriété de l’Etat suite à la confiscation des biens de l’Eglise ou d’émigrés, devant être vendus à des particuliers, il fallait bien qu’ils puissent tourner. Ce sont des raisons économiques qui ont donc poussé au maintien du statu quo. Il en résulte que le droit d’eau n’a pas aujourd’hui à être considéré comme un privilège n’ayant pas été supprimé, mais comme une nécessité économique.
par Annie Bouchard, Présidente de la FFAM de 2004 à 2013